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Prochaine réunion :lundi 9 mai 20h à la MJC de Saint Just

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Les documents

 Vous trouverez ci-joint les premiers documents préparés par l'Appel des Appels Lyon :



CONFERENCE DU 16/12/2010 SUR LES DERIVES DE LA MAÎTRISE COMPTABLE DES DEPENSES DE SANTE : 

Présentation du roman Sale Temps Pour Hippocrate + explication des mécanismes à l’origine de la dégradation de notre système de santé par Nathalie AVRIL.


Je suis médecin et j’ai écrit un livre intitulé Sale Temps Pour Hippocrate qui est un constat de la dégradation des conditions de soins à l’hôpital tout au long du parcours d’une étudiante en médecine, de la première à la dernière année. Ce qui m’a motivée pour écrire, c’est, entre autre, une grande inquiétude en tant que professionnelle de santé mais aussi famille de patient et patiente moi-même, face à cette dégradation liée à la maîtrise comptable des dépenses de santé.
Dans ce livre et dans la vraie vie, je défends l’hôpital public parce que j’estime que la santé est une affaire d’Etat, parce que j’estime que chacun a droit à l’accès aux mêmes soins, parce que j’estime que les malades et leurs maladies n’ont pas vocation à engraisser des actionnaires, et que les soins et les connaissances sur les soins font partie des biens communs publics.
Voilà pour le fond du bouquin. Pour la forme, l’aspect littéraire du récit, je me suis référée à deux très grosses pointures dans la catégorie des médecins écrivains : Rabelais pour l’humour, puisqu’il disait que rire est bon pour le foie et la rate, j’ai essayé d’aborder cette critique de la maîtrise comptable de dépenses de santé sous l’angle humoristique, et pour le style, je me suis référée à Céline, parce qu’à mon avis, depuis 75 ans, on n’a pas fait mieux.
En littérature, donc, y a pas eu trop de changement. En revanche, en médecine, y a eu un sacré chamboulement. Alors qu’est-ce qui a changé, à l’hôpital, depuis Céline ?
Ben ce qui a changé, c’est d’abord la technologie, le progrès technologique qui nous a fait passer d’une médecine de type pavillonnaire, où on hébergeait le malade dans un service et où on lui faisait tout au sein de ce service, à une médecine de plateaux techniques où on envoie le malade faire ses examens dans d’autres services de plus en plus spécialisés, ce qui a favorisé le virage à l’ambulatoire qui a permis l’externalisation des coûts.
Mais ce qui a changé, surtout, c’est le comportement de l’hôpital vis-à-vis du patient. Avant, on était malade, on allait à l’hôpital, on nous soignait, point. Maintenant, ça ne se passe plus comme ça. Maintenant, ça se passe comme chez Mac Donald : quand vous allez à l’hôpital, il faut que vous soyez un malade rentable, sinon ils vous gardent pas. Et qui est le maillon faible ? Qui sont les malades que l’hôpital ne veut plus garder ? Ben c’est le patient qui est seul à domicile et qui nécessite un temps d’hébergement plus long. C’est le patient fragile, poly-pathologique, dont on pourra difficilement se débarrasser à moins d’un transfert au funérarium.
Mais pourquoi tant de haine, comme ça, d’un coup ? Eh ben c’est dû au mode de financement : l’hôpital a changé de comportement vis-à-vis du patient parce qu’on a changé son mode de financement.
Y a eu 3 types de financement. L’hôpital a d’abord été rémunéré au prix de journée. C’était le bon temps, le temps où il assurait son rôle social parce qu’il avait intérêt à garder les patients. Mais dans les années 80, l’Etat s’aperçoit que la santé a un prix et qu’il ne veut plus le mettre. Le gouvernement, à l’époque, socialiste, se tourne alors vers l’un des seuls pays du monde occidental à avoir abandonné la santé au marché : il se tourne vers les Etats-Unis. Mais avant d’instaurer le même système concurrentiel, il faut importer les outils.
Et l’outil nécessaire à l’analyse médico-financière s’appelle le PMSI ou Programme Médicalisé des Systèmes d’Information.  C’est un magic system inventé dans les années 60 par un prof de Yale (le Pr Fetter) qui était économiste, à la demande expresse d’un groupe d’assurance médicale (la Médicare) qui exigeait un retour d’information de la part des hôpitaux car Médicare voulait savoir sur quels minima elle pourrait se baser pour couvrir.
Le principe du PMSI, c’est de traduire les données médicales du patient en données informatiques. Le but, c’est d’assembler les pathologies en groupes dits « homogènes » pour leur attribuer une valeur financière. A chaque pathologie notée sur le dossier médical correspond un code constitué d’1 lettre et de 3 ou 4 chiffres, le tout issu de la Classification Internationale des Maladies pour que ça entre dans l’ordinateur.
Ce codage des pathologies prend un temps infini. Il faut donc faire gober aux médecins praticiens que, si on leur impose cette contrainte, c’est d’abord pour leur bien. On leur fait valoir le tas de statistiques qu’on va pouvoir sortir : ils vont enfin savoir combien ils mettent de prothèses, combien ils soignent d’uréthrites et combien y a de suicides par an.  De mauvaise grâce, les médecins se collent donc au codage. Avec tous ces codes à reporter sur les Résumés de Séjour Standardisés, ils s’arrachent bien un peu les cheveux. Dans une optique épidémiologique, ça vaut le coup d’en perdre quelques uns.
Et parallèlement à la mise-en place du PMSI dans les établissements, on réforme leur mode de financement : on passe du prix de journée au budget global. Chaque hôpital est doté d’une enveloppe. Chaque année, c’est l’Agence Régionale d’Hospitalisation qui se charge de la distribuer, avec correction budgétaire pour ceux qui dépensent trop. C’est un mode de financement critiqué pour sa rigidité. Les établissements qui ont épuisé leurs fonds, disons au mois de novembre, n’ont plus rien pour finir l’année. Ce qui n’incite pas trop à l’activité. Mais on sait que le budget global ne fera pas de vieux os. C’est seulement transitoire, en attendant la tarification à l’acte qui va permettre de gérer l’hôpital comme une vraie entreprise. Quand on sait qu’on a géré idem les exploitations agricoles, et qu’en santé publique, on a récolté la vache folle, on en a froid dans le dos.
En 2004, on est fin prêt. Après une vingtaine d’années de gestation, le PMSI accouche enfin de son enfant chérie : la Tarification A l’Activité ou T2A, l’équivalent du PPS américain (le Prospectiv Paiment System). Et là, ça rigole pas. L’hôpital est, dorénavant, financé par ce qu’il déclare comme activité, il est financé par ses recettes. A chaque Groupe Homogène de Malades correspond une valeur en euro. Et y en a qui valent plus que d’autres. L’hôpital essaie donc de positionner son activité sur les groupes qui rapportent. Il s’agit de faire du bénéfice. On n’en est plus à réduire les gaspis. Le coût des soins doit être inférieur au prix. Voilà le loup qui est entré dans la bergerie. Par la T2A, un mécanisme de marché s’est introduit dans le domaine de la santé.
Cette marchandisation est délétère. Elle modifie la prise-en-charge des malades en fonction de la rentabilité des soins. Pas en fonction de la qualité. Et on sait, pour l’avoir expérimenté dans pratiquement tous les domaines, que qualité et rentabilité sont deux principes antagonistes. Comme l’huile et l’eau, ils se mélangent pas. Il se fuient même comme la peste. La T2A nuit donc gravement à la santé. Elle nuit gravement à la santé parce qu’elle pousse à faire des actes à tout prix, et qu’en amont, elle impose la sélection des patients. Elle nuit gravement à la santé parce qu’elle incite à jouer sur les durées de séjour pour augmenter le turn-over. Elle nuit gravement à la santé parce qu’elle ne tient pas compte des réalités ni des besoins thérapeutiques.
Alors quelles sont les pathologies laissées pour compte, et quels sont les actes qui rapportent ? Ben ce qui rapporte à l’hôpital, c’est de s’y faire enlever les amygdales, les varices, les végétations, bref, tous les actes qu’on peut répéter 150 fois par jour. Les pathologies laissées pour compte, ce sont les maladies chroniques, tout ce qui est désespérant parce qu’on en voit jamais la fin, tout ce qui nécessite un soutien, tout ce qui est retors, tout ce qui passe pas en mode binaire parce qu’en médecine c’est jamais blanc ni noir, c’est toujours gris et le gris ça rentre pas dans l’ordinateur.
Et s’il y a une spécialité qui s’accommode vraiment très mal de l’informatisation des données médicales, c’est bien la psychiatrie. C’est pourquoi les psychiatres sont les spécialistes qui ont opposé le plus de résistance à la mise-en-place du PMSI. Malheureusement, ils ont fini par céder. Mais ils ont vraiment mis de la mauvaise volonté. Alors qu’est-ce-que les psy reprochent donc au PMSI ? Ils reprochent, entre autres, le non respect du secret médical par défaut de confidentialité parce que les données informatisées peuvent être consultées par des intervenants divers et variés. Ce qui peut même aller jusqu’au fichage des patients psychiatriques. Déjà qu’ils font la une des magazines à la rubrique des faits divers. Mais ça, faut pas s’en étonner. Avant, les malades avaient droit à 3 à 6 mois d’hospitalisation avec, à la sortie, un projet thérapeutique. Mais à force de laisser les gestionnaires clamer partout que l’hôpital n’est pas un hôtel, on ne garde plus les psychotiques en décompensation. Au mieux ils sortent au bout de 15 jours, aussi hagards qu’à leur admission. Au pire on peut même pas les accueillir. Les voilà donc dans  la nature, avec un projet de vie égal à no futur. Alors il faut pas s’étonner de retrouver des infirmières psy gisant dans leur sang, la tête détachée du tronc. On pourra mettre aux schizophrènes tous les bracelets électroniques, ça les empêchera pas d’entendre des voix. On ferait mieux de recommencer à les soigner.
Avec la VAP, c’est mal barré. La VAP (V.A.P.) c’est la Valorisation de l’Activité en Psychiatrie, 3 lettres qui illustrent à peine l’état du secteur aujourd’hui. La VAP c’est la T2A des maladies mentales. Pour le moment, elle est pas opérationnelle. On n’arrive pas à déterminer des groupes de malades suffisamment représentatifs de ce qu’ils coûtent à l’hôpital. On voit que la T2A colle pas avec la psychiatrie, mais on s’entête. Toute la journée, des médecins planchent sur ce casse-tête. Ils finiront par trouver le subterfuge. Et quand la rentabilité sera officiellement valorisée, ça va faire un carnage.
En plus d’être un danger, la T2A coûte cher. Un système de santé qui est censé vous soigner et qui vous rend plus malade que vous n’êtes va coûter forcément plus cher. Un système de santé qui pousse à faire toujours plus d’actes pour amortir le matos et faire des bénéfices va coûter forcément très cher. Et à qui profite ce taylorisme médical ?
Ben au privé bien sûr. Aux cliniques privées à but lucratif qui ont, depuis toujours, une logique financière. Leur fonction première, c’est d’enrichir les actionnaires. Alors que la fonction première de l’hôpital c’est de répondre aux besoins de la population. Enfin c’était de répondre aux besoins de population. Maintenant, il faut que l’hosto dégage des marges. Du coup, il ressent son rôle social comme une vraie pénalisation. La concurrence est déloyale. Les cliniques à but lucratif ont l’habitude de trier leurs patients. Parmi les futurs parents, elles choisissent ceux qui peuvent payer 800 euros pour l’accouchement. Et c’est pas tout le monde qui peut les sortir.
Et l’Etat dans tout ça ? Eh ben ça fait longtemps qu’il a choisi son camp. En instaurant la T2A qui va comme un gant au privé à but lucratif, il a lâché le public. Mais pas seulement. En décidant que l’Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie ( l’ONDAM) serait une enveloppe commune à tous les établissements, qu’ils soient privés à but lucratif, privés à mission de service public (comme St Joseph-St Luc) ou publics, l’Etat a mis le service public à l’agonie. C’est comme de prendre un tigre et un chat et de les obliger à partager le repas. Y en a un qui va se faire avoir. Les établissements de soins doivent partager le budget pour leurs dépenses, mais leurs coûts sont bien différents. Dans les cliniques, les dépenses pour les examens biologiques sont payées par la Sécu, et les honoraires des médecins, par la Sécu et les patients. Les cliniques coûtent donc plus cher à la Sécu que les hôpitaux. Elles s’accaparent une partie du budget des établissements publics.
En fait, les cliniques bouffent, petit à petit, toutes les parts du gâteau. Tandis que les hôpitaux n’ont pas cessé de se serrer la ceinture. Depuis des années, ils n’ont pas cessé de réduire leurs dépenses. Comment faire autrement ? On leur a supprimé plus de 50 000 lits en 12 ans. 51 400 lits de 1980 à 1992 nous dit le Dr Denis Labayle dans son livre intitulé Tempête Sur l’Hôpital. C’est carrément de l’étranglement. Mais c’est pas suffisant. L’Etat trouve que les hostos coûtent encore trop cher. Bien trop cher en salaires. Il est là le nœud. L’enjeu c’est de se débarrasser des fonctionnaires pour ne plus avoir à les payer. L’Etat bazarde donc les hôpitaux, il fourgue le blot à la Générale de Santé.
Malheureusement, quelque soit leur couleur politique, les gouvernements ont fait le choix de privatiser notre santé : en 83, importation du PMSI, gouvernement socialiste, président F. Mitterrand ; en 2004, instauration de la T2A, gouvernement UMP, président J. Chirac ; et puis, Nicolas Sarkozy donne tout pouvoir aux managers pour sonner l’hallali. De la gauche plurielle à la droite à tendance plus ou moins ultra-libérale, ils s’en tous pris à l’hôpital. Paraît qu’y a pas d’autre solution. Pourtant, y a d’autres propositions. Au lieu de la T2A comme mode de financement, on aurait pu corriger les défauts du budget global. Ou comme l’explique le Pr André Grimaldi dans son livre intitulé L’Hôpital Malade de la Rentabilité, on pourrait financer selon le principe du « juste soin au juste coût ». Mais l’Etat reste sourd à toute suggestion. Il est pas aware. A ce point, on se demande si c’est pas de l’autisme. Y a plus de blé : voilà ce qu’il répète à longueur de journée. Ben ça dépend pour quoi. Pour voler au secours des banquiers, là il sait en trouver. Quand il s’agit de soutenir leurs escroqueries, l’Etat n’hésite pas à débourser nos deniers. Mais pour l’hôpital, non.
En conclusion, on peut dire que ce qui c’est passé dans le domaine de la santé est un parfait exemple de mondialisation. Avec, en première phase, la colonisation des esprits par le diktat du marché. Un vrai lavage de cerveau. Les Etats-Unis ont un système de santé d’une grande médiocrité rapport qualité prix. On le sait depuis longtemps. Ils traînent le plus gros déficit pour les dépenses de santé (16% du PIB). C’est malgré tout là-bas qu’on va chercher la solution pour réduire notre propre déficit. Ce qui dépasse l’entendement.
Dans un deuxième temps, on importe l’outil. La T2A marche pas. On est passé de 8 à 11% du PIB en dépenses de santé. Malgré tout, le PMSI s’est implanté partout. En Amérique latine. En Afrique. En Asie. Et en Europe bien sûr, dans les pays de l’Est, du Sud, même dans les pays scandinaves pourtant réputés pour avoir le must du système de santé. Le vent mauvais de la spéculation a balayé l’eldorado nordique. Fini l’échelle de salaires équitable et la qualité des soins. Les patients doivent payer de plus en plus pour se faire soigner, et les délais d’attente sont plus longs qu’avant. Car, avec la T2A, l’hôpital a changé. Avec la T2A, l’hôpital, c’est fermé.